Dans l’atelier se dressent trois colonnes de cartons. Les élèves de la classe de CM1 de Marine Belenus les ont construites en vue de relier le sol au plafond.
Sur ces cartons, ils ont tracé des lignes qui sillonnent l’espace. Ils ont ainsi proposé un chemin graphique d’un point à un autre.
Dès ce premier atelier, nous avons abordé LA question fondamentale de la sculpture : l’espace.
Ce sera notre champ d’expérience principal. Et notre préoccupation sera de savoir comment le spectateur s’y déplace.
Ce premier atelier a aussi permis à Alice, Aliya, Ashlee, David Elysée, Demba, Ellis, Ethan, Fatima, Ismaël, Jean-Yaël, Jordan, Kassim, Koumba, Likhon, Lilia, Lordine, Marcus, Mathis, Moussa, Shayn, Wissem et Yatème de prendre possession de l’atelier.
Cette ancienne salle de classe sera notre lieu de création et d’expérimentation. Les enfants viennent par groupe de sept, une demi-journée par semaine.
Dans la même perspective de sculpter l’espace nous avons construit un labyrinthe la semaine suivante. Le but était de diriger le spectateur, de le guider où nous voulions.
Les élèves ont pris conscience de la capacité, avec l’Art, d’emmener le regardeur où l’on veut. L’enfant, l’artiste, doit pouvoir proposer des directions de regards. (…)
À cet enjeu théorique, s’ajoute constamment la difficulté et la question de la fabrication.
Nous réalisons divers objets avec toutes sortes de matériaux : argile, plâtre, mousses, bois, plastiques, cartons, etc. Nous sommes à chaque fois confrontés à plusieurs difficultés techniques et l’élève perd parfois de vue ses intentions initiales.
Pourtant les enfants gagnent peu à peu en habileté. Ils savent maintenant modeler l’argile, couler du plâtre, couper du bois, assembler, percer, visser, découper, accrocher.
Je les amène à réfléchir à leurs gestes, à comprendre quelles opérations ils effectuent sur la matière. Ils doivent comprendre que celles-ci sont porteuses de significations ; ils doivent parvenir à donner du sens à leurs gestes.
Nous commençons en janvier à travailler sur le portrait modelé en argile. Nous démarrons avec des exercices d’observation puis j’oriente le travail autour de la représentation des émotions. Nous cherchons comment le visage se déforme. Puis nous réalisons des caricatures, exagérons les traits pour créer tel ou tel caractère.
Nous préparons ensuite une exposition où chaque enfant devra réaliser une statue : un personnage de marchand. Je leur laisse libre accès à tous les matériaux et techniques abordés depuis le début de l’année.
Les enfants se mettent au travail avec entrain pendant trois semaines, puis nous présentons un « marché de sculpteurs » aux autres élèves de l’école et aux parents.
On rencontre dans ce marché Sachreli, le vendeur de jeux vidéos aux yeux rouges et au dos vouté, Jonathan le vendeur de téléphone timide et amoureux, ou encore Kilian le maraîcher bodybuildé.
Malgré le succès de cette exposition - les enfants étaient ravi de rendre public leur travail - cet exercice a présenté quelques difficultés. Devant l’étendue des possibilités en terme de matériaux, de techniques il était difficile de trouver pour eux les formes, gestes et matériaux adéquats pour animer leur personnage.
Face à la difficulté, leur enthousiasme laisse parfois place à des interrogations :
« À quoi sert l’Art ?» me demande Fatima, ou encore « À quoi ça sert un artiste ? Est ce que c’est un métier, artiste ? Ça gagne bien ? » veut savoir Likhon.
J’espère avoir apporté des premiers éléments de réponse à ces questions au cours d’une sortie dans le centre de ville de Saint-Denis où nous avons visité la basilique puis mon atelier d’artiste, à quelques rues de l’édifice.
Les enfants ont pu alors voir un grand écart entre les sculptures « didactiques » médiévales, présentées au dessus du portail de la basilique, et le lieu de travail de jeunes artistes.
Marguerite Li-Guarrigue, une collègue d’atelier, montre alors aux enfants ses sculptures-masques avec lesquelles elle créé des performances théâtrales.
Je leur montre ma dernière sculpture en cours de réalisation, qu’ils verront achevée quelques mois plus tard en situation d’exposition au cours d’une autre sortie aux Beaux-Arts de Paris.
La question de la place de l’artiste demeure néanmoins en suspens et je préfère attirer leur attention sur le rôle que peut avoir l’art dans l’éducation du regard. Comment la pratique et la fréquentation de l’art peuvent nous rendre plus sensibles, plus à l’écoute du monde.
Je souhaite que la pratique artistique les mette en mouvement : leur fasse prendre conscience de l’immensité du réel, et des infinies possibilités de regards, de créations, de transformations qu’on peut y opérer.
Nous avons réalisé le 1er juillet, une exposition dans le hall et la cour de l’école. Il s’agissait d’investir un espace avec nos créations, de manière monumentale ou discrète.
En effet, nous avons présenté plusieurs types d’œuvres : de grandes sculptures représentant un « mouvement d’yeux » ; de petites sculptures « in situ » cachées dans différents endroits de l’école, et une projection de films en stop-motions représentant des métamorphoses.
Nous avons réalisé de grands yeux en métal, cerceaux et tissus. Ils ont dans un premier temps servi à prendre une série de photographies. Ces photographies, présentées à l’exposition, ciblent un détail dans l’école, un élément précis qui est encadré par l’œil en tissus.
Ensuite, ces grands yeux nous ont servis à composer trois grandes sculptures représentant des « mouvement du regard ». Elles invitent le spectateur à se déplacer et emmènent son regard dans sa course, au travers de ses vides et de ses pleins colorés.
Nous avons crée et installé dans l’école de petites sculptures in situ. Une sculpture in situ, c’est une sculpture qui est pensée et créée pour un endroit précis. C’est une sculpture qui prend son sens par rapport au lieu où elle est exposée.
En avril, nous avons fait un exercice d’observation minutieuse au square Diderot qui jouxte l’école. Il s’agissait de regarder de très près les feuilles des arbustes. Nous avons appris quelques termes de botanique (le limbe, les folioles, le pétiole, les nervures) qui nous ont servi de cadre d’observation.
Ils devaient ensuite imaginer une transformation de ces dessins. Nous abordons alors le stop motion, l’animation à partir d’images fixes. C’est le début d’un nouveau cycle de travail que nous menons autour de l’idée de métamorphose. Les enfants, par binômes, doivent penser le mouvement, le passage d’une chose à une autre, le déplacement de formes, et ainsi créer un petit film.