En arrivant à Anatole France, des empreintes de mains sur la brique ont immédiatement retenu mon attention, réveillant en moi le souvenir de celles que l’on trouve dans les grottes peintes par des hommes d’un autre temps. Ultime trace de cette humanité éteinte. J’ai alors imaginé qu’en plus d’apprendre aux enfants à se raconter, nous pourrions inventer un lieu où ancrer les images et sons qu’ils allaient fabriquer. Un espace qui irait plus loin que la seule salle de projection. Construire une « caverne du temps présent », où vivraient continuellement les témoignages intimes et collectifs d’élèves de 9 ans.
En tant que scénariste, il s’agissait pour moi de partir des enfants et de leurs histoires. À 9 ans, ils ont déjà vécu, sans le voir forcément, des évènements très forts. Quand ils les racontent, ces choses d’apparence insignifiantes ont une force propre à leur jeunesse et à leur candeur, et trahissent une sensibilité à vif, qui s’exprime dans la colère, dans une gêne amusée, ou avec confusion.
C’est pourquoi je leur ai demandé de raconter des choses qu’ils avaient vécues, qui les poussaient à dire « je », à s’affirmer en tant que narrateur. C’est l’exercice le plus complexe. Il demande non pas une conscience de soi, mais un abandon. Un aveuglement révélateur. De se laisser aller pour se voir apparaitre après coup et s’écrier : je vois où je suis, et où je veux en venir. De là, chaque semaine, de petites formes, qui travaillaient autant l'intime que différentes façons possibles de mettre ces récits en image sont nées. Des plans très simples, ou parfois des agglomérats d'images abstraites. Toujours dans le but de créer du sens et de coller au plus près aux histoires que racontaient les enfants.
Ces enfants, je ne les connais que dans le cadre de l’atelier, qui s’il est une enclave de liberté dan s l’école, reste limité. Ce qui m’intéresse, c’est leur perception singulière de ce qui les entoure, ce qui fait leur quotidien. J’ai donc décidé de faire sortir ce vaste journal intime collectif que nous constituions de la classe. D’amener les enfants, le temps d’une semaine, à filmer leur vie, en autonomie. Je leur ai prêté une petite caméra numérique – la même que celle avec laquelle j’ai commencé à faire des films. Je voulais qu'il se réalise que la possibilité de l'art est à leur portée. Que les outils de création tiennent parfois dans la poche ; et qu'il n'y a qu'un pas entre les images qu'ils fabriquent au quotidien, souvent pour les réseaux sociaux, et la possibilité du cinéma.
Il ressort, de toute la matière filmique qu’ont rapporté les enfants, le sentiment, sourd ou inconscient, d’un désenchantement. L’impression d’un avenir sans horizon clair, ou difficilement accessible.
Ce poème laconique était le point de départ et d’arrivée de mon travail avec les enfants. Les images qu’ils m’ont ramenées, étonnantes d’inventivité, racontent leur rythme de vie, leur famille, leur regard sur la France d’aujourd’hui. À la caméra, ils livrent ce qu’ils veulent, leurs états-d’âme, leurs rêves. Parfois, ce qu’ils ne filment pas raconte. L’absence, le manque, la peur, l’amour.
Cette caverne moderne, constituée d’écrans de projection, est un écrin pour tous ces mots balbutiant. Nous l’avons imaginée, dans la continuité de leurs images, comme une architecture défaite. Un enchevêtrement de béton effrité, de toiles déchirées, d’acier érodé. Un lieu qui serait autant un présent qu’un futur proche. Dans cet espace de vie et de non vie, les images sonnent comme une trace vivante de notre temps.